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La chapelle du “Repos de Marie” du XVIè siècle ? Un dépôt des morts construit en 1811 !

La chapelle du "Repos de Marie" du XVIè siècle ? Un dépôt des morts construit en 1811 !Depuis plusieurs mois, il est affirmé qu’un bâtiment situé dans l’enclos de l’ancien hôpital est une chapelle du chemin de croix datant du XVIè siècle. Et ce bâtiment, intégré au projet de construction de la “Cité de la Musique”, a fait l’objet d’une longue bataille juridique entre une association et la Ville de Romans-sur-Isère, il y a quelques mois.

Dans les articles publiés dans la presse locale, nous pouvons lire les affirmations suivantes :

“Cette chapelle, que des spécialistes en architecture et les documents de l’époque permettent de dater des années 1600, est la plus ancienne chapelle du grand chemin de croix de Romans, le Grand Voyage, et porte, sur sa façade, l’un des rares exemples de serlienne dans la vallée du Rhône.”

“En 1556, un document précise qu’un oratoire marque le lieu où “Marie se reposa”, information reprise par un guide de pélerinage de 1615. La date de 1556 correspond à la période où l’architecte Sebastiano Serlio oeuvre à Lyon et dans la vallée du Rhône. Serlio donna son nom de “serlienne” aux baies tripartites comme celle visible sur la façade.”

“La chapelle du “Repos de Marie” intégrée au clos de l’hôpital devient, au moment de la Révolution Française, un bâtiment à usage hospitalier.”

Je ne vais pas passer plus de temps sur ces erreurs historiques et je vais simplement raconter l’histoire vraie de ce bâtiment, documents d’archives à l’appui.

Dans les archives, il est appelé “salle des morts”, “dépôt des morts” et “chapelle mortuaire”. Pour simplifier, je l’appellerai toujours “dépôt des morts”.

La première trace écrite

La première trace écrite de ce bâtiment se trouve dans un acte capitulaire de l’hôpital de la Charité (ancien nom de l’hôpital, sur le site de l’actuelle “Cité de la Musique”) daté du 2 août 1789 (cote 110 S 99 aux Archives de Romans) : “Le père prieur aurait aussi représenté que désirant faire une salle des morts parce qu’il n’y en a point dans l’hôpital, il conviendrait de jeter le dit appentis à terre et en construire un autre…”

Cela avait été débattu par les consuls de Romans (appelés aujourd’hui conseillers municipaux) le 23 août suivant (cote BB49 aux Archives de Romans) : “En quatrième lieu, il a été représenté que les religieux de la Charité de cette ville demandent qu’il leur soit accordé la faculté de faire démolir et prendre les fragments de quelques créneaux qui existent sur les murs des remparts […] pour les dits matériaux être employés à faire construire à grands frais une salle pour y déposer les morts jusqu’au moment de leur enterrement.”

A cette étape des recherches, nous noterons qu’il avait été décidé de construire “à grands frais” une salle des morts et nous comprenons mieux pourquoi ce bâtiment est si imposant.

Mais il faudra attendre quelques années pour que l’on retrouve trace de discussions au sujet de la construction de ce bâtiment.

La réunion des hôpitaux de Sainte-Foy et de la Charité

Au début du XIXè siècle, il est décidé de réunir les hôpitaux de Sainte-Foy (actuelle école Notre-Dame-des-Champs) et de la Charité pour faire un hôpital “plus moderne” et surtout, pour faire des économies de fonctionnement.

Pour cela, il est décidé de faire des grandes réparations et des constructions sur l’emplacement de l’hôpital de la Charité.

L’on reparle du dépôt des morts dans une délibération administrative de l’hôpital du 28 avril 1811 et on y parle aussi des cellules pour les aliénés qui se trouvent à l’étage de ce bâtiment (cote 121 S 1811 aux Archives de Romans) : “Ce n’est pas tout encore : je ne puis passer sous silence l’aliénation d’esprit pour laquelle je réclame deux cabinets de sûreté, afin de pouvoir au besoin, recevoir un homme et une femme frappés de cette terrible maladie.” et “Il n’est pas moins essentiel de joindre à notre établissement la propriété du sieur Royanné […] nécessaire à la Charité, qui sans elle ne pourrait […] se procurer la salle des morts qui manque à cet hospice.”

A cette étape des recherches, il n’y a pas de doute : il est bien question du bâtiment qui nous intéresse.

La construction du dépôt des morts

Le registre des recettes et dépenses de l’hôpital pour les années 1810 à 1820 (cote 121 S 350 aux Archives de Romans) nous permet de suivre entièrement la construction de ce bâtiment : extraction des pierres à la carrière de Rochebrune, maîtrise d’oeuvre de M. Colombier, architecte, journées de travail de Clément Piodi, maçon et tailleur de pierre, des frères Guichard, serruriers, du sieur Allemand, menuisier et charpentier, et du sieur Reymond, vitrier.

– Le 8 septembre 1811 : “Payé sur mandat cent quarante quatre francs au sieur Clément Piodi, maçon tailleur de pierres, chargé de la construction du portail, de la loge du portier, du dépôt des morts, des murs de clôture du jardin, premier acompte sur ces différents travaux dont autorisation et quittance.”

– Le 13 septembre 1811 : “Payé deux cent cinquante six francs au sieur Bouvarel, de Saint-Nazaire, pour la voiture du port de Rochebrune à Romans au port des casernes, de 32 mètres environ de pierre de choin extraite de la carrière de Rochebrune, destinée 1° à la construction d’un pont renversé au torrent de la Savasse pour élever les eaux au niveau du canal du moulin et établir le passage pour arriver à l’hospice avec les voitures, 2° la pierre aussi nécessaire pour les accessoires du portail d’entrée, porte masquée, porte du portier, et celle du dépôt des morts dont état détaillé et quittancé.” (le choin est une pierre calcaire)

– Le 14 octobre 1811 : “Payé deux cent seize francs à Clément Piodi, tailleur de pierre de choin, 3e acompte sur la construction du portail, la loge du portier, salle des morts, etc. voyez ci-devant 8 septembre et 29 septembre, dont autorisation et mandat.”

– Le 8 décembre 1811 : “Payé cent quarante quatre francs à M. Vagniat, entrepreneur, pour une fourniture de pierre de choin ébauchée qui a été employée à la loge du portier, au dépôt des morts, aux portes et angles de la salle neuve, dont état détaillé et quittancé.”

– Le 13 décembre 1811 : “Payé six cents francs au sieur Clément Piodi, ouvrier italien, à titre d’acompte sur les constructions du portail, de la loge du portier, de la salle des morts et des murs de clôture du jardin, etc. dont mandat quittancé.” (un autre document d’archives nous indique que Clément Piodi est domicilié à Saint-Nazaire-en-Royans à cette époque, cote 121 S 1814 aux Archives de Romans)

– Le 25 décembre 1811 : “Payé quatre cent huit francs au sieur Clément Piodi, ouvrier italien, 6e acompte et solde de toutes les journées employées à la construction et taille du portail, à celle de la loge du portier, dépôt des morts, murs de clôture et d’alignement des jardins, etc. et enfin de tous les travaux qu’il a exécutés pendant l’exercice, ainsi réglé par messieurs les Administrateurs dans leur séance du 23 courant, après avoir débattu dudit compte, y avoir fait un rabais de 112,50 francs et avoir l’avis de M. Colombier architecte, qui a reçu les ouvrages dudit Clément, dont mandat quittancé.”

– Le 31 décembre 1811 : “Payé aux frères Guichard, serruriers à Romans, un 2e acompte après examen, autorisation et réduction à la somme de quatre cent quarante neuf francs pour travaux et fournitures employés à ferrer le grand portail d’entrée, la loge du portier, la salle des morts, etc. ainsi arrêté ledit compte après réception d’oeuvre par M. Colombier, architecte à Valence, qui détermine les prix, dont mandat quittancé.”

– Le 31 décembre 1811 : “Payé à Lapassa, marchal et taillandier au Bourg du péage, un 2e compte montant après réduction à la somme de cent cinquante francs relatif aux raccomodages et à la fourniture des outils, marteaux, ciseaux, pinces, etc. et notamment aux pointes des ouvriers qui taillent la pierre froide employée aux fondations de la salle militaire, du portail et dépôt des morts, dont compte détaillé, autorisé et quittancé.” (1° marchal est écrit pour maréchal-ferrant, 2° un taillandier est un forgeron)

– Le 31 décembre 1811 : “Payé quatre cents francs au sieur Allemand, menuisier et charpentier à Romans, pour travaux et fournitures employées pour le grand portail d’entrée, porte et croisée de la loge du portier, dépôt des morts, toiture de ce bâtiment, son plancher, tout quoi est détaillé dans ledit compte qui a été vérifié et approuvé par qui de droit après que la réception d’oeuvre a été faite par M. Colombier architecte et les prix déterminés par lui, dont mandat acquitté.”

– Le 31 décembre 1811 : “Payé soixante six francs au sieur Reymond, vitrier à Romans, montant d’un compte vu, vérifié et ordonné après réduction de travaux et fournitures de son état, principalement des peintures et vitres du grand portail de la loge du portier, etc.” (ici, il n’est pas fait explicitement mention du dépôt des morts mais le “etc.” final nous permet de le supposer car toutes les dépenses de ce jour concernent, entre autres, la construction de ce bâtiment)

Conclusion

Il y a un élément très important à retenir dans tous ces comptes détaillés : le 31 décembre 1811, il est dit que le sieur Lapassa a été payé pour la fourniture des pointes des ouvriers qui taillent la pierre froide employée aux fondations du dépôt des morts.

Il s’agit donc bien d’un bâtiment construit à partir de rien.

On ne peut même pas supposer qu’il y aurait eu un reste de chapelle du chemin de croix à cet endroit.

Ce bâtiment a donc été construit entièrement durant le dernier trimestre de l’année 1811.

Quant à savoir pourquoi il a été construit dans ce style, c’est un autre sujet et une autre recherche historique qui pourra être effectuée plus tard.

Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère – 110 S 99, Registre des actes capitulaires de l’hôpital de la Charité – BB49, Délibérations consulaires, 1785-1791 – 121 S 247, Hospice, Registre des délibérations de la commission administrative, 1810-1820 – 121 S 350, Hospice de la Charité, Registre des recettes et dépenses, 1799-1811 – 10Fi133, Cadastre de l’ancien hôpital, plan général des bâtiments de l’hôpital, 1er mars 1866

Publié dans: 19è siècle, Patrimoine

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