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Quand Jean-Jacques Rousseau passait par Romans

Quand Jean-Jacques Rousseau passait par RomansEvoquons le voyage de Jean-Jacques Rousseau, de Grenoble à Montpellier, qui le fît passer par Romans.

La première partie de son autobiographie intitulée Les Confessions, constituée par les livres I à VI, a été rédigée entre 1765 et 1767 et couvre les années 1712 à 1740, c’est-à-dire ses années de formation, de sa naissance à Genève à son installation à Paris, à l’âge de 28 ans.

En 1737, âgé de vingt-cinq ans, Rousseau est installé dans la propriété des Charmettes, à Chambéry, avec Madame de Warens, sa tutrice et maîtresse qu’il appelle “Maman”. Mais son polype au coeur le fait souffrir et “Maman” l’envoie, au mois de septembre, consulter un professeur de Montpellier, le docteur Fizes.

Au cours de ce voyage, il passera par Romans et fera la connaissance de Madame de Larnage, de vingt ans son aînée, mère de dix enfants, et qui deviendra sa maîtresse.

Extrait du livre VI évoquant cette partie de son voyage :

“Le cheval me fatiguant trop, j’avais pris une chaise à Grenoble. A Moirans, cinq ou six autres chaises arrivèrent à la file après la mienne. Pour le coup c’était vraiment l’aventure des brancards. La plupart de ces chaises étaient le cortège d’une nouvelle mariée appelée madame du Colombier. Avec elle était une autre femme appelée madame de Larnage, moins jeune et moins belle que madame du Colombier, mais non moins aimable, et qui de Romans, où s’arrêtait celle-ci, devait poursuivre sa route jusqu’au bourg Saint-Andiol, près le Pont-Saint-Esprit.

[…]

On voyait que j’étais malade, on savait que j’allais à Montpellier; et il faut que mon air et mes manières n’annonçassent pas un débauché, car il fut clair dans la suite qu’on ne m’avait pas soupçonné d’aller y faire un tour de casserole. Quoique l’état de maladie ne soit pas pour un homme une grande recommandation près des dames, il me rendit toutefois intéressant pour celles-ci. Le matin elles envoyaient savoir de mes nouvelles, et m’inviter à prendre le chocolat avec elles; elles s’informaient comment j’avais passé la nuit. Une fois, selon ma louable coutume de parler sans penser, je répondis que je ne savais pas. Cette réponse leur fit croire que j’étais fou: elles m’examinèrent davantage, et cet examen ne me nuisit pas. J’entendis une fois madame du Colombier dire à son amie: Il manque de monde, mais il est aimable. Ce mot me rassura beaucoup et fit que je le devins en effet.

[…]

Toute la compagnie se convenait, et voyait à regret le moment de se quitter. Nous faisions des journées de limaçon. Nous nous trouvâmes un dimanche à Saint-Marcellin. Madame de Larnage voulut aller à la messe, j’y fus avec elle: cela faillit à gâter mes affaires. Je me comportai comme j’ai toujours fait. Sur ma contenance modeste et recueillie elle me crut dévot, et prit de moi la plus mauvaise opinion du monde, comme elle me l’avoua deux jours après. Il me fallut ensuite beaucoup de galanterie pour effacer cette mauvaise impression; ou plutôt madame de Larnage, en femme d’expérience et qui ne se rebutait pas aisément, voulut bien courir les risques de ses avances pour voir comment je m’en tirerais. Elle m’en fit beaucoup, et de telles que, bien éloigné de présumer de ma figure, je crus qu’elle se moquait de moi. Sur cette folie il n’y eut sorte de bêtise que je ne fisse; c’était pis que le marquis du Legs. Madame de Larnage tint bon, me fit tant d’agaceries et me dit des choses si tendres, qu’un homme beaucoup moins sot eût eu bien de la peine à prendre tout cela sérieusement. Plus elle en faisait, plus elle me confirmait dans mon idée; et ce qui me tourmentait davantage était qu’à bon compte je me prenais d’amour tout de bon. Je me disais, et je lui disais en soupirant: Ah! que tout cela n’est-il vrai! je serais le plus heureux des hommes. Je crois que ma simplicité de novice ne fit qu’irriter sa fantaisie; elle n’en voulut pas avoir le démenti.

Nous avions laissé à Romans madame du Colombier et sa suite. Nous continuions notre route le plus lentement et le plus agréablement du monde, madame de Larnage, le marquis de Torignan, et moi. Le marquis, quoique malade et grondeur, était un assez bon homme, mais qui n’aimait pas trop à manger son pain à la fumée du rôti. Madame de Larnage cachait si peu le goût qu’elle avait pour moi, qu’il s’en aperçut plus tôt que moi-même; et ses sarcasmes malins auraient dû me donner au moins la confiance que je n’osais prendre aux bontés de la dame, si, par un travers d’esprit dont moi seul étais capable, je ne m’étais imaginé qu’ils s’entendaient pour me persifler. Cette sotte idée acheva de me renverser la tête et me fit faire le plus plat personnage dans une situation où mon coeur, étant réellement pris, m’en pouvait dicter un assez brillant. Je ne conçois pas comment madame de Larnage ne se rebuta pas de ma maussaderie, et ne me congédia pas avec le dernier mépris. Mais c’était une femme d’esprit qui savait discerner son monde, et qui voyait bien qu’il y avait plus de bêtise que de tiédeur dans mes procédés.

Elle parvint enfin à se faire entendre, et ce ne fut pas sans peine. A Valence, nous étions arrivés pour dîner, et, selon notre louable coutume, nous y passâmes le reste du jour. Nous étions logés hors de la ville à Saint-Jacques; je me souviendrai toujours de cette auberge, ainsi que de la chambre que madame de Larnage y occupait.”

Publié dans: 18è siècle, Arts, Personnalités

1 Comment on "Quand Jean-Jacques Rousseau passait par Romans"

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  1. bellier dit :

    Merci de nous faire connaitre un peu de la vie intime de Jean-Jacques Rousseau et je crois que Valence fait une fête en son honneur pour son anniversaire.

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