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La fabrication des cartes à jouer

La fabrication des cartes à jouerDès le milieu du XVè siècle, la passion du jeu de cartes régnait dans toutes les classes de la société.

Le nom d’un jeu de cartes utilisé à Romans-sur-Isère à cette époque nous est parvenu dans un compte de l’année 1500 : “Un gros en cartes neuves pour jouer au cogninber”. Nous ne savons malheureusement pas en quoi consistait ce jeu.

Une délibération consulaire de 1557 a rapport à l’interdiction des tavernes, jeux et brelans “nourrisses de tous maulx”. Le jeu faisait de terribles ravages à Romans-sur-Isère car nombreuses sont les plaintes et les délibérations semblables à celle-ci.

En 1581, Henri IV fixe les statuts des maîtres cartiers, papetiers, feseurs de cartes, tarots, feuillets et cartons”. Ils demeurèrent en vigueur presque jusqu’à la Révolution.

L’article XII précisait que “nul maître du dit métier ne pouvait vendre ni exposer cartes en vente, pour cartes fines, si elles n’étaient faites de papier cartier fin, devant et derrière, et des principales couleurs inde et vermillon, à peine de confiscation de la marchandise, applicable aux pauvres”.

En 1613 une ordonnance enjoint aux maîtres cartiers “de mettre leurs noms et surnoms, enseignes et devises, au valet de trèfle de chaque jeu de cartes, tant larges qu’étroites, sous peine de confiscation et d’amende”.

Plusieurs cartiers se livraient à cette industrie à Romans-sur-Isère, ayant sous la main la matière première, car on y fabriquait du papier depuis la seconde moitié du XVè siècle. Le 26 juin 1456, le recteur de l’hôpital de Sainte-Foy avait autorisé Henri de Chastel, moyennant une pension de 5 florins d’or, à faire du papier où était anciennement le moulin de l’Aumône.

Sur le registre des tailles de 1458-1459, nous avons “Enris do Chastel que fay lo papier”. En 1488, Johan “lo relior de livres”. En 1490, Don Chaslel est cotisé comme cartier. Probablement le fils du fabricant de papier car, cette même année, nous trouvons Mailhet “filha du papeour”. En 1515, nous avons Vignet cartier et Ymbert libraire. En 1546, Claude Trassy est le maître du martinet à papier. En 1548, nous avons Pacis, libraire, en 1566, Jean, libraire, en 1605, Chovin et Morel, cartiers, en 1632, nous retrouvons Jean Morel, cartier, et en 1664, Georges Ardain, cartier.

Le 28 janvier 1691, Teyssier et Buissière, cartiers, demandent a l’assemblée consulaire l’autorisation de mettre sur l’enveloppe de leurs cartes à jouer, les armes de la ville. Le juge royal demande à être consulté et Teyssier est autorisé le premier. Puis, le 20 septembre 1693, l’assemblée permet à Buissière et Berthuin, marchands cartiers associés, de mettre les armes de la ville sur l’enveloppe de leurs cartes, en les différenciant de celles de Teyssier.

Les autres cartiers de cette époque étaient Jacques Coinde, Etienne Muron, Imbert Grand et Jean Levaux.

En 1745, Jean Saillard obtint l’adjudication des droits imposés sur les cartes et cuivres dans toute l’étendue du Royaume. Il fut alors défendu aux maîtres cartiers d’avoir chez eux aucun moule ni d’imprimer les traits des figures.

Le 5 juillet 1745, Jacques Cuisin de Vernombou, par procuration de Jean Saillard, vient à Romans-sur-Isère et requiert que les moules qui se trouvent chez les cartiers soient enlevés, avec description du nombre de jeux et du nom de ceux à qui ils appartiennent.

Le lendemain, à dix heures du matin, le lieutenant de police se présenta chez tous les cartiers et dressa procès-verbal (rappelons qu’à l’époque, les figures des jeux de cartes étaient différentes selon les provinces auxquelles ils étaient destinés) : “A la maison du sieur Dernard, au premier étage, habite Jacques Coissieux, cartier de cette ville. Jacques Coissier présente deux moules à têtes et figures, l’un desquels il se sert pour l’impression des cartes qu’il envoie en Languedoc et Provence. Son nom est écrit sur les moules aux valets de pique, trèfle et coeur. L’autre moule sert pour l’impression des cartes qui se débitent dans cette province de Dauphiné. Coissieux présente ensuite deux autres moules presque hors service et desquels il ne se sert pas depuis longtemps. Puis il exhibe 49 jeux de cartes assortis et prêts à vendre.

La visite se poursuit chez Joseph Bertoin qui possède trois moules de têtes et figures pour cartes vendues en Languedoc et Provence avec son nom sur les valets de pique, trèfle et coeur, et un moule pour cartes vendues en Dauphiné. Il a en outre 60 jeux de cartes assortis et prêts à vendre.

Chez Dumas, on trouve 17 moules anciens et nouveaux, 13 portent le nom de Benoist Dumas, père de Charles, et 4 de noms différents : un de Charles Cheminade, deux de Estienne Buissière et un de Christophe Bertoin. Dumas déclare qu’il ne travaille plus depuis huit années et qu’il n’a aucun jeu de cartes ni aucune feuille.

Chez Antoine Bertoin, on trouve 4 moules pour cartes vendues en Languedoc et Provence et 3 moules pour cartes vendues en Dauphiné.”

En 1754, il reste quatre cartiers à Romans-sur-Isère : Louis Larat, Joseph Bertoin, Jacques Coissieux et Antoine Bertoin.

En 1774, nous ne trouvons plus que Jacques Coissieux qui continua la fabrication des cartes à jouer jusqu’à l’aurore du XIXè siècle, époque à laquelle cette industrie disparut totalement de notre cité.

5 Comments on "La fabrication des cartes à jouer"

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  1. Jean-Yves dit :

    Bonjour M. Depaulis. Merci beaucoup pour votre appréciation. J’avoue honteusement que je n’ai jamais lu ces recherches dont vous parlez. Si vous avez des infos supplémentaires au sujet des fabricants de cartes à jouer de Romans (exclusivement) et que vous souhaitez les partager, n’hésitez pas à me contacter à l’adresse contact@romanshistorique.fr. Cordialement.

  2. Thierry Depaulis dit :

    Je croyais que Jean Bouvier, “Les cartiers et la fabrication des cartes à jouer à Romans”, Bulletin de la Société d’archéologie de la Drôme, 73, 1955-57, p. 118-123 (résumé de sa conférence donnée en 1956), texte complet dans L’As de Trèfle, n° 41, juin 1990, p. 11-16, avait fait le tour de la question. Je vois qu’il n’en est rien : vous complétez Bouvier, et Meunier aussi ! Bravo.
    Autres données (sur les Coissieux, les Bertoin, etc.) à votre disposition.
    TD

  3. Thierry Depaulis dit :

    Merci pour cette excellente page!
    Je vais revenir aux cartiers sous peu.

    En attendant, remarque sur “cartes neuves pour jouer au cogninber”.
    Sans doute faut-il lire ‘coquinber’ (g pris pour q, n pour u…).
    ‘Coquimbert’ est le nom plaisant de tout jeu joué à l’envers (“à qui gagne perd”), aux dames ou aux cartes. Rabelais le cite (parmi les jeux de cartes). Le dictionnaire français-anglais de Randle Cotgrave (1611) en fait un équivalent du (jeu de cartes anglais à l’envers) “loosing loadam”.

    TD

  4. Jean-Yves dit :

    Merci beaucoup pour ces informations complémentaires.
    Cordialement.

  5. Meunier dit :

    je vous invite à compléter la liste des cartiers de Romans avec :
    – Pierre Morel, cartier à Romans en 1616 et 1617,
    – son fils Jean Morel, cartier à Romans en 1632, décédé entre 1645 et 1673, marié par contrat de mariage en 1616 avec Clauda (Claudine) Cogne. Son gendre Antoine Cartellier est au coeur d’une nébuleuse familiale de papetiers venus du Beaujolais, installés en Valentinois, en Provence et en Languedoc.
    Il convient de noter que les Morel sont cartiers à Lyon depuis le milieu du XVe siècle, et que la fabrication des cartes à jouer est réglementée pour empêcher la triche, et prélever un impôt sur ce vice.
    Cordialement.

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