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Le pont Vieux

Le pont VieuxLe premier acte où il soit fait mention d’un pont sur l’Isère à Romans-sur-Isère, est daté du mois d’octobre 1033, du temps de Léger, archevêque de Vienne et abbé de Romans-sur-Isère, administrateur actif et éclairé, qui dota ces deux villes de plusieurs établissements importants.

Ce moyen de communication, si avantageux pour les populations, permit aux chanoines de Saint-Barnard d’établir, suivant la coutume féodale, sur les personnes, les bestiaux et les marchandises, des tributs qui, sous les noms de péage, de pontonage et de leyde, devinrent pour eux une source féconde de revenus.

L’an 1207, le pape Innocent III confirma à l’abbaye de Saint-Barnard les droits de marché public, des foires et le pontonnage sur l’Isère.

Frédéric II, roi des Romains, par une bulle donnée à Bâle le 25 décembre 1214, ratifia celle de son aïeul et permit, en outre, aux chanoines de percevoir quatre deniers par tête de gros bétail et deux deniers par tête de menu bétail qui passerait sur le pont, et défendit à toutes sortes de personnes de se soustraire à ce tribut, à peine d’être mis au ban de l’empire et de payer une amende de cent livres d’or pur. Mais, comme le fief de Pisançon était une très ancienne possession de l’église de Saint-Barnard, les habitants de Romans-sur-Isère n’étaient point tenus de payer de péage, tant par terre que par eau, pour leurs personnes et leurs denrées, excepté quand ils en faisaient commerce.

Enfin, lorsque le passage du pont n’était plus praticable, le chapitre avait le droit de le fermer, d’établir des bateaux et d’exiger des passants la taxe accoutumée. Il possédait aussi le rivage de la rivière, de chaque côté, depuis le Riou-sec jusqu’au monastère vieux de Vernaison, et les conducteurs de radeaux qui passaient devant l’église de Saint-Barnard lui devaient le tribut de leurs rames, s’ils n’aimaient mieux les racheter. Ce droit était, à ce qu’il parait, tombé en désuétude car, au XVIIè siècle, noble Nicolas Vincent, chanoine, s’engagea à le faire revivre à ses frais, à condition que le chapitre l’en laisserait jouir sa vie durant; ce qui fut confirmé, en 1617, par un arrêt du parlement.

Soit par violence des eaux, soit par vice de construction ou défaut de cohésion du terrain dans lequel il était fondé, le pont de Romans-sur-Isère se trouvait dans des conditions peu favorables de conservation; aussi fut-il emporté par la grande inondation du 14 septembre 1219, dite le déluge de Grenoble. Il fut reconstruit, pour la plus grande partie, par les soins de Jean de Bernin, archevêque de Vienne et abbé de Romans-sur-Isère, qui, de concert avec Arbert de Chabeuil, sacristain de Saint-Barnard, fixa les droits d’entrée et de sortie.

Le manque de documents contemporains ne permet pas de résoudre la question de savoir si le pont rétabli par Jean de Bentin était entièrement en pierre. D’après la tradition et divers renseignements recueillis à l’occasion de travaux postérieurs, il paraîtrait que les trois piles et les deux premières arches étaient en pierre et d’une belle construction et les deux autres en bois. Sur le pilier du côté de la ville on avait édifié comme on le faisait généralement à cette époque, une jolie chapelle gothique, et en face un petit hôpitam destiné à recevoir des femmes en couches. Enfin, comme la portée d’une pile à l’autre était trop grande pour une arche en bois, on l’avait divisée en plantant des pilotis au milieu. Cette disposition explique les fréquents désastres qui arrivèrent à ce pont et dont nous allons faire le récit.

Sur les conseils d’Amédée de Roussillon, évêque de Valence, le chapitre, pour se défendre contre les habitants, avait fait élever une tour en pierre au milieu du pont : à peine achevée, les romanais s’en emparèrent. Amédéé vint en 1281 faire le siége de Romans-sur-Isère et, après un mois d’efforts, reprit cette tour.

Ceux qui la gardaient ayant blessé à mort deux habitants, on éleva dans la ville des machines qui lançaient des pierres et rendaient ce poste dangereux. Amédée ne pouvant y laisser des troupes, préféra la détruire, plutôt que de l’abandonner à l’ennemi. Il fit, en conséquence, miner et sauter la tour dans l’Isère avec une partie du pont et de l’hôpital que Jean de Bernin avait fait construire. Il y avait alors dans cet hôpital vingt-trois femmes en couches. Amédée, après avoir fait enlever la statue de la Vierge, patronne de cet hôpital, et l’avoir fait transporter à Valence, ordonna d’en expulser les pauvres jacinières, et ensuite livra aux flammes les bâtiments dont les débris tombèrent dans l’Isère. Le passage se trouva dès lors intercepté. Les romanais, vaincus l’année suivante, furent condamnés par la sentence arbitrale rendue à Brignoles le 29 juillet 1282, sous la médiation du prince de Salerne, à contribuer à la restauration du pont et de l’hôpital, au moyen d’une amende de mille livres viennoises.

Le chapitre avait sur le pont et sur le péage que l’on y percevait des droits incontestables, et il se montrait fort jaloux de les exercer et de les conserver; mais, sous prétexte que ces droits de pontonnage étaient moins un privilège qu’un préjudice, il n’apportait pas le même zèle à entretenir convenablement cet édifice. De là des débats avec la ville, dont les intérêts souffraient de cette négligence. Une lettre du roi et une sentence arbitrale rendue le 1er octobre 1360 par Guillaume de Vergy, gouverneur du Dauphiné, réglèrent ce différend. Il fut convenu que les chanoines et les habitants contribueraient désormais aux réparations du pont au marc le franc, ad solidum et libram.

La seconde arche en pierre n’était pas suffisamment soutenue par la pile méridionale, qui ne donnait naissance qu’à un tablier en bois : elle s’écroula un siècle environ après sa construction et fut remplacée par une arche dont la charpente tomba à son tour de vétusté.

L’interruption du passage sur cette importante voie de communicatlon nuisait beaucoup aux intérêts du commerce et à ceux du chapitre. Plusieurs habitants avaient, en mourant, fait dans leurs testaments des legs pour favoriser la reconstruction de l’arche primitive. Un riche et généreux romanais, Perrot de Verdun, entre autres, avait laissé dans ce but aux consuls, en 1374, une somme de 100 florins d’or.

Mû par l’amour de Dieu et le bien de la chose publique, Guillaume de Sainte-Croix, dit Perrin, marchand de Romans-sur-Isère, se rendit le 16 mars 1387 devant Mr. Léon de Mureil, juge de la cour séculière, et exposa à ce magistrat l’utilité de réédifier en pierre, telle qu’elle était autrefois, l’arche sur l’Isère contiguë à la chapelle de Notre-Dame. Il ajouta que, pour cette oeuvre si avantageuse, le chapitre, la communauté de la ville et diverses personnes tant ecclésiastiques que laïques avaient déjà promis, des sommes importantes. Le juge approuva ce projet et, sur les excuses présentées par Guillaume de Sainte-Croix, nomma commissaires pour surveiller les travaux et ordonnancer les dépenses Joffred de La Balme, sous-clavier de l’église de Saint-Barnard, et Garin Fabre, bourgeois. Il désigna Joffred Vallin, marchand, pour trésorier et Jean
Guiffred pour procureur de l’oeuvre.

Les travaux commencèrent le 11 mars 1388. A la fin de chaque semaine, le trésorier, en présence de trois témoins, comptait à Guillaume de Grandis, surveillant et payeur des ouvriers, les sommes portées sur son état, préalablement visé par les commissaires et ensuite inscrit sur le registre tenu par Me Jean Galtier, notaire.

On envoya à Lyon, dans le mois d’avril, Talmet Noble, maître de l’oeuvre, pour examiner et étudier les plans suivis et les procédés employés pour la construction du pont en pierre sur le Rhône. Jacques de Beaujeu, architecte de ce pont, vint à son tour à Romans-sur-Isère pour voir les travaux et donner des conseils. Les commissaires payèrent sa dépense à l’hôtel et le gratifièrent de onze florins d’or et d’une paire de galoches.

Les pierres de tuf, qui joignent la légèreté à une grande résistance et une longue durée, étaient employées de préférence. On les tirait des carrières d’Yseron et de la Sône. La chaux venait de Pisançon. On achetait les cordages à Tullins. Le lit de la rivière fournissait des pierres, du gravier et du sable. Les mollasses provenaient de la carrière située sur le bord de l’Isère, au-dessous du coteau de Chapelier, au lieu appelé les Baumes.

Le 20 avril 1389, une convention fut passée eutre les commissaires et dom Martin Raymond, prieur de la Chartreuse du Val-Sainte-Marie, pour l’achat de trente sapins de neuf toises de longueur à choisir et prendre dans les forêts de ce monastère, moyennant la somme de trente florins. Pour l’honneur de Dieu et l’intérêt qu’il portait à une oeuvre aussi utile au public, le prieur ajouta trois autres arbres de même qualité. Ces trentet-trois sapins, destinés à la confection des cintres du pont, coûtèrent des peines incroyables et une dépense énorme pour être abattus, traînés à l’Isère, conduits à Romans-sur-Isère et remisés au Paletour, sur les côtes de Pisançon. Cette opération ne fut terminée qu’en avril 1390. On fut obligé d’employer jusqu’à 150 hommes et 80 paires de boeufs pour faire cheminer ces pièces de bois dans les montagnes de Lente. La dépense, avec le prix d’achat, s’éleva à 425 florins, soit à 12 florins et 4 gros pour chaque sapin.

Le 31 janvier 1391, les commissaIres donnèrent à Talmet Noble, maltre de l’oeuvre, et à Guillaume de Fayes, maître charpentier, le prix-fait pour établir les cintres, construire et maçonner la voûte de l’arche, moyennant la somme de 200 florins et la fourniture de tous les matériaux. La pose de la clef de voûte et celle du drapeau se fit avec le cérémonial d’usage le 3 mai 1392. Les commissaires donnèrent à cette occasion un écu d’or (12 f 19 c) pour acheter du vin. La dernière paye aux ouvriers eut lieu le 8 mars 1393. C’était la fin des travaux, qui avaient duré juste six ans.

Les comptes furent vérifiés et approuvés le 18 janvier 1396 par Artaud Alleman, chanoine de Saint-Barnard, et Jean de Marolle, auditeur des comptes de Dauphiné. La dépense s’était élevée à 2 797 florins et 6 gros et la recette à 2 795 florins et 7 gros, d’où un plus payé de 23 gros, dont le trésorier Joffred Vallin fit don gracieux.

En 1397, par suite d’un débordement de l’Isère qui, avait endommagé le pont, la circulation était de nouveau interrompue. Le chapitre, usant de son droit, mit des bacs aux lieux accoutumés pour le passage de la rivière et établit des commis pour lever les taxes. Le procureur fiscal de Saint-Marcellin s’empara du port, des bacs et des émoluments, prétendant, que le Dauphin, comme souverain, avait seul droit de régale sur la rivière de l’Isère. Il s’appuyait aussi sur ce précédent, qu’en 1383 les officiers delphinaux avaient établi un bac sans aucune opposition. Les chanoines sontenaient, au contraire, qu’à partir de 1350 le pont s’était rompu trois fois, et que c’étaient toujours eux qui avaient fait mettre des bateaux pour traverser la rivière. Ils donnèrent procuration pour la défense de leurs intérêts à Me Jean de Gottafred, chanoine, qui se transporta à Grenoble et présenta le 25 octobre 1398 à Jacques de Montmaur, gouverneur du Dauphiné, une requête où il exposa en termes généraux les droits du chapitre à établir un bac sur l’Isère lorsque le pont était rompu.

Le gouverneur ordonna une enquête. Le juge mage de Saint-Marcellin, Antoine de Nyeuron, et le procureur fiscal, Jean Perellin, vinrent à Romans-sur-Isère; ils y reçurent des mémoires, entendirent des témoins. La procédure fut renvoyée à Grenoble et communiquée au procureur général. Jacques de Montmaur, siégeant en conseil, maintint, par arrêt du 16 novembre 1398, le chapitre de Saint-Barnard dans le droit d’avoir un pont à Romans-sur-Isère et d’en percevoir les émoluments, et enjoignit aux officiers delphinaux de lui restituer les bacs, ainsi que les sommes qu’ils avaient reçues.

En conséquence, le 24 décembre suivant, Paulet de Trajet, commis à la perception, fit restitution des bateaux qu’il avait saisis et de sa recette qui se montait, déduction faite des frais, à sept florins d’or qu’il promit de rembourser.

Ces événements firent encore plus vivement sentir aux romanais la nécessité de terminer la reconstruction de ce pont, qui était l’ornement et la prospérité de leur ville : ils se mirent, en effet, bientôt à l’oeuvre. Le 11 août 1401, dans l’auditoire de la cour séculière, devant Me François Fallavel, juge ordinaire, et en présence des syndics, conseillers et notables de la communauté, Joffred de La Balme, sous-clavier, et Guillaume de Villars, bourgeois, commissaires désignés pour la reconstruction en pierre de la quatrième arche du côté du Péage-de-Pisançon, exposèrent que, dans la prévision de cette oeuvre, ils avaient fait venir et déposer au Paletour une certaine quantité de tufs; mais, après mûre réflexion, ils pensaient qu’il serait plus économique de donner cette entreprise à prix-fait. A la suite de plusieurs publications, Me Jean Forrest dit Coppe s’était offert pour édifier cette arche avec de bons matériaux, en la fondant solidement sur l’ancienne pile, se chargeant en outre de réparer celle du milieu, le tout moyennant 200 florins qui seraient prélevés sur le revenu du commun du vin de la ville donné en garantie.

Ce travail devait être exécuté sous la surveillance des commissaires et terminé dans l’espace de deux années, c’est-àdire aux fêtes de Pâques 1404. L’offre de Jean Forrest dit Coppe fut agréée par le conseil général de la ville, après enquête, approuvée par le juge. La dépense s’éleva en définitive à 2 302 florins, dont Jean Forrest dir Coppe donna quittance par acte notarié le 3 mars 1405, devant Me Pierre du Préhumbert, juge de Romans-sur-Isère. Dans cette somme était comprise la valeur, fixée après estimation, des matériaux, d’un chariot, d’une grue et d’autres engins employés dans les constructions, cédés par la ville à l’entrepreneur.

En 1409, on établit un octroi sur le vin, dont le produit, évalué 566 florins, était destiné aux réparations à faire à la première arche du pont et à la chapelle de Notre-Dame. Joffred de La Balme et Gibelin Odoard furent chargés de la surveillance des travaux.

Malgré tant de soins et de dépenses, le passage sur le pont était de nouveau impraticable. L’incommodité de traverser sur des bacs une rivière aussi rapide que l’Isère avait fait prendre une autre route aux voitures de sel qui avaient coutume de passer sur le pont; ce qui causait un grand préjudice à Romans-sur-Isère.

Le 20 juillet 1426, le chapitre permit un nouvel octroi pour faire face aux dépenses qu’allaient nécessiter la restauration du pont et l’établissement d’une horloge publique. Les États de la province, assemblés dans cette ville le 10 mars 1427, lui accordèrent 200 florins pour faire les réparations que dirigeaient deux commissaires, Pierre de la Cour et Didier de Villard.

Des lettres patentes du 14 juin 1448 souscrites par le roi dauphin et consenties par l’archevêque de Vienne et le chapitre de Saint-Barnard permirent aux habitants de Romans-sur-Isère de passer sur le pont avec des chars ferrés et d’y lever les droits accoutumés sur l’étranger, à la charge d’entretenir le pont, de le réparer et même de le réédifier, s’il venait à tomber. Cette concession assez onéreuse fut encore aggravée des droits de péage que les chanoines acquirent d’Aymar de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier. Il paraît, en outre, que le droit de passage par eau n’était pas compris dans la convention de 1448. Le chapitre permit, il est vrai, aux consuls, le 2 juin 1494, de mettre une traille et un bac au-dessous de la ville pour passer les étrangers, à cause de la peste qui régnait alors dans le comtat d’Avignon et aux environs; mais il s’opposa, le 11 décembre 1651, à l’entreprise des consuls, qui voulaient établir des bateaux après la chute du pont.

On prévoit facilement les fréquentes réparations que devait nécessiter un pont presque tout en bois, très fréquenté et exposé aux crues subites d’une rivière torrenteuse. Il serait trop long, comme sans intérêt, de citer les travaux d’entretien qui, durant le XVIè siècle, eurent une grande part à la sollicitude des consuls et aux finances de la ville. Nous rappellerons seulement qu’en mars 1518, par suite de cette tendance qu’avaient nos ancêtres de presser leurs demeures les unes contre les autres, sans soucis de l’hygiène et de la commodité, alors que l’espace ne manquait pas, des habitants profitèrent de ce qu’on réparait les arches du pont pour demander d’y bâtir des maisons.

Le conseil de la ville rejeta sagement ce projet de constructions, qui auraient gêné la circulation, compromis la solidité des arches et entrainé de grands malheurs, en cas de la ruine du pont. Ajoutons encore qu’en 1583 les travaux de réparation traînaient tellement en longueur, que l’assemblée de la ville intima aux commissaires Jean Magnat et Bernard Guigon de faire leur devoir, et chargea les consuls de donner l’ouvrage à prix-fait et d’y faire procéder “sans retard et avec ardeur”. Il fut aussi défendu aux tondeurs d’étendre des pièces de drap le long des arches, à peine d’amende et de confiscation.

Le pont fut emporté par une grande inondation le 1er décembre 1651, à huit heures du soir. La violence des eaux était extraordinaire. Des régiments d’infanterie et de cavalerie, qui se rendaient en Piémont, furent contraints de séjourner une semaine au Bourg-de-Péage avant de pouvoir franchir la rivière en bateaux. L’assemblée générale tenue à l’hôtel de ville le 23 juin 1652 résolut que les consuls avec six notables confèreraient sur la construction d’un pont en bois. Mais le chapitre et la ville n’étant point en état de faire une si grande dépense, M. Humbert de Lionne, gentilhomme de la manche et gouverneur de Romans-sur-Isère, qui avait déjà obtenu la permission de placer des bacs sur l’Isère peu de jours après la chute du pont, offrit de le rétablir à ses frais, moyennant la faculté de percevoir pendant trente années, sur les habitants et les forains, les droits qui seraient jugés convenables par le bureau des trésoriers de France.

Après de nombreuses et longues formalités, des lettres patentes datées du 30 décembre 1660 lui furent expédiées. L’arrêt de vérification de la cour du parlement portait que M. de Lionne percevrait pendant trente années les droits meptionnés au tarif, et que, après ce temps, le pont demeurerait acquis à la ville de Romans-sur-Isère, à la charge de l’entretenir et de maintenir le passage libre de toute imposition. Le 23 octobre 1664, un conseiller du bureau des finances fit la réception des travaux exécutés par l’entrepreneur Nicolas Le Gentil. Le lendemain, il ouvrit le pont à la circulation, établit les droits conformément au tarif et ordonna aux bateliers de détacher la traille et de ne plus passer personne dans leurs bacs.

Avant l’expiration des trente années (elles ne finissaient que le 24 octobre 1694), Claude Pouilli et François Évrard, sous-fermiers du domaine de la province, surprirent un arrêt du conseil, sous la date du 22 décembre 1693, ordonnant l’incorporation du pont de Romans-sur-Isère et de ses dépendances au domaine du roi. Le chapitre et les consuls, réunis cette fois par un intérêt commun, s’opposèrent à cette entreprise et, par requêtes des 29 avril et 23 mai 1695, en appelèrent au conseil d’Etat.

Pendant la durée des plaidoiries, le commissaire de l’aliénation du domaine du roi avait mis en vente la propriété du pont de Romans-sur-Isère. Dans l’assemblée générale du 13 février 1697, les habitants, peu confiants sans doute dans le résultat du litige, chargèrent MM. Huchède et Lusson, avocats au conseil, de poursuivre cette acquisition au nom de la ville et d’offrir jusqu’à la somme de 25000 livres, outre les 2 sols par livre. Mais, mieux inspirés, le chapitre d’un côté et le procureur du roi de l’autre, protestèrent et firent rapporter cette délibération.

En effet, le roi, dans son conseil tenu à Versailles le 17 novembre 1699, maintint le chapitre et la ville de Romans-sur-Isère en possession et jouissance du pont sur l’Isère et des droits qui en dépendaient, et condamna le sous-fermier à restituer les taxes qu’il avait perçues, depuis le 24 octobre 1694 jusqu’au 31 décembre 1699, jour de sa dépossession, à la condition que les deniers en provenant, suivant la liquidation faite par l’intendant Bouchu, seraient employés aux réparations du pont. Les sommes restituées s’élevèrent à 10 890 livres, déduction faite des droits pour l’année 1697, dont le sieur Pouilli avait été déchargé le 15 février 1701 par un arrêt du conseil.

Les romanais rentrèrent enfin en possession de leur pont mais il était en très-mauvais état : les agents du fisc n’y avaient fait, durant leur gestion, aucune dépense d’entretien; négligence d’autant plus dommageable pour cet édifice que sa conservation nécessitait de continuelles réparations à cause des matériaux peu durables employés dans sa construction. Il n’avait qu’une arche en pierre du côté de la ville; le reste était en bois et couvert d’un toit en forme de galerie, sans doute pour protéger la charpente contre les intempéries. Le tout était supporté par six piles : trois en pierre et trois en bois, placées alternativement.

Enfin, les consuls, à bout d’efforts et de ressources, furent bientôt dans la nécessité de faire connaître à l’intendant que les arches en bois du pont sur l’Isère avaient besoin d’urgentes réparations, leur ruine étant inévitable et prochaine. Ce magistrat répondit le 18 août 1712 à M. Albanel, son subdélégué, que “la ville de Romans ne devoit pas se flatter qu’on pût faire faire la restauration de ce pont aux frais de la province.” Il conseillait “de le réparer en bois, la dépense devant être la moitié moindre qu’en maçonnerie.” L’assemblée de la ville se refusa à une dépense qui regardait la province et le roi, offrant cependant d’y contribuer pour 10 000 livres, à condition que le pont serait rétabli en pierre.

Le 3 mai suivant (le pont élait tombé dans l’intervalle), l’intendant demanda à la ville de Romans-sur-Isère de payér la moitié de la dépense, dont le total s’élevait, suivant le devis de l’ingénieur, à 53 895 livres. En considération de l’intérêt de son commerce, la ville, malgré sa grande gêne, consentit à fournir les 21 000 livres demandées. Les travaux commencèrent en 1717 et furent exécutés avec soin et intelligence. On refit la culée du côté du Bourg-de-Péage; les voûtes furent contruites en tuf, les piles et les arcs en granit. Après cette reconstruction, le pont devint la propriété du domaine sous la surveillance des consuls de Romans-sur-Isère, qui continuèrent d’avoir la garde des clefs de la porte, la nomination du portier et le droit de le cotiser.

Le nouveau pont subit ses épreuves en 1744, en résistant à une crue extraordinaire pendant laquelle les eaux de l’Isère s’élevèrent à trente pieds au·dessus du niveau normal. Sa solidité semblait lui permettre de ne plus redouter la violence des eaux. Il allait être moins heureux dans les événements de la guerre en 1814 et- dans les événements politiques de 1815.

La grande activité dans les transactions que la paix avait fait renaître rendait cet état de choses fort préjudiciable aux intérêts de la ville; il dura néanmoins plusieurs années : les réparations du pont ne furent terminées qu’en 1818. Les besoins d’une circulation de plus en plus considérable faisaient aussi sentir depuis longtemps la nécessité d’élargir cette voie incommode par sa pente et son étroitesse, et de dégager ses abords.

Grâce aux ordres donnés par le chef de l’État qui, lors de son passage à Romans-sur-Isère en 1852, avait pu apprécier l’urgence de cette amélioration, les travaux commencèrent en 1855 et furent exécutés avec une activité et une habileté dignes d’éloges. On démolit d’abord toutes les maisons qui, soit du côté de la ville, soit du côté du Bourg, gênaient l’entrée du pont, qui fut consolidé et entièrement restauré. On revêtit les piles d’une maçonnerie en pierres de choin et on établit des trottoirs supportés par des arceaux en fonte et bordés d’une balustrade en fer.

Quelque temps après, en 1860, on compléta ces améliorations par la construction de quais qui facilitent la circulation, embellissent la ville et la défendent contre les inondations.

Plus tard, le pont Vieux souffrira des combats de la Seconde Guerre Mondiale. Le 20 juin 1940, alors que les troupes allemandes vont vers le sud de la France, l’armée française fait sauter une des arches du pont pour les en empêcher. Quelques jours plus tard, alors que l’armistice est signée, une passerelle permettra aux piétons de traverser puis, le 23 juillet 1940, le pont est réparé.

Le 15 août 1944, les américains débarquent en Provence et l’armée allemande commence à remonter vers le nord. Le 29 août 1944, les allemands quittent Bourg-de-Péage et font sauter le pont pour couvrir leur retraite.

Le pont Vieux de Romans-sur-Isère est aujourd’hui un travail d’art assez remarquable. Sa hauteur au-dessus de l’étiage est de 9 mètres et sa longueur de 128 mètres. La largeur libre de l’Isère n’est que de 117 mètres, parce que le quai du Péage est en saillie de 11 mètres dans la rivière. L’ouverture des arches diffère sensiblement : celle de la première est de 22m60; celle de la deuxième de 27m48; celle de la troisième de 24m39, et celle de la quatrième de 25m80.

Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère – Ulysse Chevalier, Notice historique sur le pont de Romans, 1867

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