Jean-Yves Baxter Lire →

Anne-Marie de Bressac, la romanaise la plus riche de son temps

Anne-Marie de Bressac est née le 2 mars 1662 à Grenoble, de Charles Jacques de Bressac, conseiller du roi au parlement du Dauphiné, et de Marie Du Lieu.

Son époux, Philippe du Vivier, conseiller du roi, maître ordinaire en la chambre des comptes et cour des finances de la province du Dauphiné, était un homme scrupuleux et austère. Les jours passaient, désespérément semblables les uns aux autres. Et les nuits aux heures interminables pendant lesquelles elle pleurait sa vie gaspillée.

Et voilà qu’en 1683, Philippe du Vivier meurt à l’âge de 36 ans. Personne ne fait plus obstacle aux désirs et aux ambitions d’Anne-Marie de Bressac. Assumant désormais sa vie, elle ne devra ses succès qu’à elle-même.

Sa silhouette est mince, son port de tête altier et ses cheveux naturellement bouclés. Les traits de son visage sont réguliers mais allongés. Son teint est gâté par une couperose qui lui violace le nez. On remarque ici que le peintre a fait un portrait flatteur.

Vivre, c’est d’abord quitter Grenoble.

Elle loue la maison de Grenoble et part s’installer à Romans où elle possède deux maisons. L’une est située en ville, rue Pêcherie. L’autre, qui fut successivement forteresse, château, ferme et maison des champs, dresse ses moignons de tours sur les bords de la Savasse, à une demi-lieue de Romans.

C’est là que s’installent la veuve et sa progéniture. Un chanoine de Saint-Barnard lui recommande un frère mariste comme précepteur des deux garçons.

Elle fait aménager la maison de ville.

Qui l’habitera ? Elle en est encore à se le demander lorsque se répand la nouvelle de l’arrivée du régiment irlandais qui doit tenir garnison à Romans.

En moins d’un an, elle s’est assuré le monopole du moulinage de la soie dans la vallée de l’Isère. Point de fabrique ni d’ateliers. Son personnel est féminin et travaille à façon dans les fermes des environs. C’est avec les fermiers qu’elle traite. Ils craignent cette femme au regard pénétrant dont la sécheresse les désarçonne. Elle ne propose pas mais impose.

“Elle chevauche la fortune, dit-on à Romans, faute d’être chevauchée par un homme.”

Puis, un jour, des coups sont frappés à la porte de la cour. C’est un soldat du régiment irlandais de Dillon porteur d’un pli de logement en faveur du lieutenant colonel Gerard O’Mullally dit Gerard Lally, pour la maison de la rue Pêcherie. La réquisition n’est pas pour lui déplaire. À Romans, la vie est sans surprise.

Le lendemain, elle se trouve dans sa maison de ville face à Gerard Lally. Tout en lui est gigantesque : la taille et la carrure, le cou épais comme un fût de colonne et les épaules. Elle est davantage fascinée que sûre d’elle-même. Le soldat est loin de se douter de l’émoi qu’a suscité son apparition. Il ne se passe pas longtemps avant qu’ils ne soient amants.

Elle n’a jamais fait les choses à moitié. Confessions, pénitences et retraites, messes et vêpres, Carême et Quatre-Temps, fêtes carillonnées, pas une pièce n’a manqué, trente ans durant, à la panoplie de sa dévotion.

Aujourd’hui, c’est de péché qu’il s’agit mais elle s’y plonge résolument.

Anne-Marie de Bressac est enceinte et l’honneur enquiert Gerard Lally de réparer en l’épousant. De plus, Arthur Dillon lui refusera le commandement du régiment irlandais s’il refuse.

C’est donc le mariage. Discret, vu les circonstances : la fiancée entame son quatrième mois de grossesse. Et Gerard Lally demande aux chanoines de Saint-Barnard de tricher un peu sur les dates :”En me mariant, je fais la moitié du chemin. Il vous appartient de faire l’autre moitié en le datant convenablement. D’avril 1701. N’importe quel jour fera l’affaire.”

C’est ainsi que dans le registre paroissial de Saint-Barnard, le mariage est à la date du 18 avril 1701, et la naissance de l’enfant Thomas Arthur est à celle du 13 janvier 1702.

Anne-Marie survivra vingt ans à son cadet de mari mais ne le regrettera que progressivement lorsqu’il ne lui restera plus qu’à se souvenir. Les lignes suivantes, extraites de son testament, montrent que la trempe de son caractère a résisté aux atteintes de l’âge.

“Et je défend toute pompe funèbre, chapelle ardente et autre chose superflue de mon enterrement. Puis, je donne et lègue à dame Justine de Bressac, ma chère et bien aimée sœur, religieuse de Sainte-Ursule de Valence, la somme de cinquante livres de pension viagère pendant sa vie, payable annuellement, pour l’employer selon ce que je lui ai recommandé de vive voix sans que la supérieure et autre ne puissent prendre connaissance.”

Anne Marie de Bressac meurt le 1er juin 1759, à l’âge de 97 ans, au couvent de Sainte-Ursule de Valence. Elle est inhumée le 2 juin 1759 à Valence, en l’église du couvent des Cordeliers.

Le portrait d’Anne-Marie de Bressac est conservé dans la collection privée de Jean-Yves Baxter. Il mesure 79×62 cm (116×76 cm avec le cadre). Portrait peint par Paul Mignard (1641-1691), peintre, portraitiste et graveur français. On trouve le monogramme “AMDB” dans la partie supérieure du cadre.

Thomas Arthur Lally-Tollendal, fils de Anne-Marie de Bressac

Thomas Arthur Lally-Tollendal est né le 13 janvier 1702 à Romans, de Gerard O’Mullally dit Gerard Lally et Anne-Marie de Bressac dont le magnifique portrait est présenté à côté.

Nommé commandant général de tous les établissements français aux Indes orientales, il devient bouc émissaire des défaites de la guerre de Sept Ans contre l’Angleterre.

Enfermé à la Bastille par lettre de cachet, en 1762, sans avoir le droit de se choisir un avocat, il défend son honneur, publie des Mémoires justificatifs, mais l’autoritarisme dont il avait fait preuve envers ses troupes, son échec à Madras et sa reddition à Pondichéry rendent sa défense très difficile. Il demande à être traduit devant un conseil de guerre, mais c’est le Parlement de Paris qui le juge, après une enquête commencée en 1764.

Le 3 mai 1766, il est condamné à la décapitation pour “avoir trahi les intérêts du roi”. Après quatre ans de prison, il est conduit au supplice place de Grève, dans un carrosse drapé de noir. Sa décapitation, œuvre des bourreaux Sanson père et fils, tourne presque au Grand-Guignol : Sanson manque son coup, casse la mâchoire avec son épée ainsi que plusieurs dents et doit recommencer.

Cette exécution produit une grande indignation en France et en Europe. Voltaire, qui oublie ses bons mots sur Lally, prend sa défense, et avec lui, l’opinion publique. Il dénonce et flétrit le jugement puis se mobilise en 1773, avec son fils légitimé, Gérard de Lally-Tollendal, pour obtenir sa réhabilitation.

Publier un commentaire