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La collection d’art de Charles de Lionne

Sans doute faut-il trouver l’origine des grandes collections dans les trésors des plus anciens temples et des églises chrétiennes.

Au XVIe siècle, apparaissent les cabinets de curiosités qui, dans un espace dédié, tendent à embrasser d’un regard la diversité de la création : collections de la maison de Médicis en Italie, des princes-électeurs de Dresde en Allemagne, de la maison de Habsbourg au château d’Ambras en Autriche…

La galerie à la française, avant de devenir encyclopédique au siècle des Lumières, est une combinaison de peintures, sculptures, objets, meubles et tapisseries privilégiant la décoration architecturée. En France, le terme “galerie” correspond à la totalité des œuvres d’art plutôt qu’au seul espace. La galerie de Charles de Lionne se parcourait donc dans toutes les pièces de son Hôtel des Allées et de son château de Triors.

L’impressionnant nombre de 539 tableaux dont 153 portraits (en comparaison, l’inventaire de son cousin germain, le ministre Hugues de Lionne, en compte 112) nous laisse penser qu’il y avait une certaine compulsion dans une telle accumulation. Cependant, ce n’est pas inhabituel à une époque où existaient des collections de 2 000 ou 3 000 œuvres.

Il semble que ce soit au cours de son voyage à Rome, pour le conclave de 1655, que Charles de Lionne ait commencé ses “achats”, sans doute entouré de conseillers comme le peintre Servin de Tournon sera son restaurateur et des Hayes, son encadreur à Paris.

Il n’est pas exclu que, dans un esprit Grand Siècle soucieux de symétrie et d’équilibre, il ait commandé des copies en série. Ainsi, on trouve sept “portraits de chevaux de très grand format” dans une chambre.

Les recherches effectuées par Jean-Yves Baxter d’après l’inventaire après décès de Charles de Lionne nous ont permis de retrouver la trace de certains tableaux, la ville de Romans ne possédant curieusement qu’un très faible fond d’œuvres picturales.

Le portrait de Madame de Lionne, femme du ministre, et ses deux enfants, peint par Pierre Mignard, au Musée des Arts décoratifs, à Paris. Un exemplaire – s’agissait-il d’une copie ou du même ? – a disparu de l’hôtel de ville de Romans à la fin du XIXe siècle alors qu’il partait en restauration.

Le superbe “Judith en prière dans la tente d’Holopherne” peint sur marbre noir par l’artiste lyonnais Jacques Stella vers 1631, technique acquise lors de son séjour italien, se trouve dans une collection privée.

Le “Paysage avec pêcheurs” de Giovanni Francesco Grimaldi dit Le Bolognèse, peint vers 1649, est au Musée Magnin de Dijon.

Le “Portrait de jeune femme en sainte Agnès”, école de Pierre Mignard vers 1670, qui se trouve aujorud’hui dans une collection privée, raconte une histoire liée à la ville de Romans : Madeleine, née en juillet 1651, de Louis-Hugues de Lionne, qui devint gouverneur de Romans en 1701, en remplacement de son cousin Charles de Lionne, et de Jeanne Renée de Lionne, fut mariée à François-Annibal de Cœuvres, comte de Nanteuil, plus tard duc d’Estrées, gouverneur de l’Isle-Adam et maître de camp de cavalerie. Elle mena, dit-on, une vie très galante et même prit part aux débauches de sa mère. Ainsi, Bussy-Rabutin raconte, dans son “Histoire amoureuse des Gaules”, qu’une nuit, le ministre de Lionne et l’abbé de Cœuvres surprirent dans la même chambre Madame de Lionne et sa fille en compagnie du comte de Saulx. Sur cette aventure, Bussy-Rabutin édifia un vrai drame de cape et d’épée selon les règles classiques du théâtre espagnol, alors fort à la mode. Mais comme réponse à cette médisance et à quelques autres, Madame de Cœuvres se fit peindre en sainte Agnès par le célèbre Pierre Mignard.

Charles de Lionne possédait aussi une copie de qualité du tableau “Diane et Endymion” de Nicolas Poussin dont l’original est à l’Institute of Arts de Detroit aux États-Unis, et un original de Paul Véronèse, “La Musique”.

Un grand tableau représentant saint Sébastien percé de flèches, avec trois figures de femmes, de sept pieds de haut sur six de large, avec son cadre doré, se trouvait dans l’église de Triors en 1891, d’après le chanoine Cyprien Perrossier. Il a aussi disparu.

Après la mort de Charles de Lionne, les ventes d’œuvres d’art dureront du 20 octobre 1701 au 27 janvier 1702, sachant que les 150 tableaux les plus importants furent expédiés à Paris pour être vendus dans de meilleures conditions.

Devant ces dispersions, ces ventes, ces disparitions, et en l’absence de l’amorce d’un musée des Beaux Arts à Romans, à aucune époque, nous ne pouvons que nous réjouir de proposer cette exposition au milieu des tentures léguées par Charles de Lionne, abbé de Leissins, à l’église de Saint-Barnard.

Broderies à différents points, les visages et les mains peints sur soie, elles sont datées de la fin du XVe siècle d’après les très riches costumes représentés.

Le 22 avril 1677 mourut à Romans, Hélène Tardy, fille d’Antoine Tardy, riche marchand drapier, et d’Anne Delhorme. Née le 7 juillet 1589, elle avait épousé, le 3 juin 1611, Pierre de Loulle, avocat au parlement de Grenoble, qui fut emporté par la peste, les premiers jours de janvier 1630. Héritière de tous les biens de feu son époux puis de ceux de sa mère, Hélène Tardy devint une des personnes les plus riches, sinon la plus riche de la ville. Parmi les objets dont elle avait garni sa belle demeure située près de la côte des Cordeliers, se trouvait une série de tentures représentant les “Quinze mystères joyeux, douloureux et glorieux”.

Deux ans avant sa mort, Hélène Tardy avait disposé de ses biens par testament daté du 16 juin 1675 et contenant un article ainsi rédigé : “Je donne et lègue aux dames religieuses de Sainte-Ursule, à la considération de ma nièce de Loulle, religieuse au dit monastère, ma tapisserie des quinze mystères joyeux, douloureux et glorieux, laquelle leur sera délivrée seulement après que leur église aura été bâtie et jusqu’à ce, je veux qu’elle demeure entre les mains des religieuses qui seront aux Orphelines, que je charge d’en avoir soin et de la prêter le jour de saint Barnard à Messieurs du chapitre pour parer leur chœur, seulement pendant la fête, de même aux Pères Capucins pour tapisser leur presbytère les jours que le saint Sacrement sera exposé, mon intention étant aussi que lorsque les religieuses auront reçu ma dite tapisserie, elles fassent les mêmes prêts au dit chapitre et Pères Capucins, de même aux filles Orphelines, le jour de leur fête. Moyennant lesquels légats, je charges les dites religieuses de recevoir en leur monastère, pour sœur de chœur, l’aînée des filles de feu sieur Jean Bernard, mon neveu, et ne voulant icelle être religieuse, de recevoir la seconde.”

La seconde fille de Jean-Baptiste Bernard, Claudine, ne fut pas admise chez les Ursulines et épousa, le 31 mai 1684, Laurent Gitton, procureur auprès des judicatures de Romans. La donation faite par Hélène Tardy fut ainsi considérée comme devenue caduque et les tentures ne vinrent jamais dans le monastère de Sainte-Ursule. Neuf de ces quinze panneaux sont aujourd’hui visibles dans la chapelle du Saint-Sacrement de l’église Saint-Barnard. Les autres furent vendus à Paris, en 1702, et nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus.

Cette découverte a été présentée dans l’exposition “L’inconnu de Saint-Barnard, Charles de Lionne, abbé de Lesseins, restaurateur de la collégiale Saint-Barnard”.

A l’initiative de Jean-Yves Baxter, président de l’association Les Amis de Saint-Barnard et du Calvaire des Récollets, et Daniel Ogier, costumier, décorateur, peintre et sculpteur. cette exposition a été inaugurée le 17 septembre 2021 et est visible jusqu’au 10 octobre 2021 dans la chapelle du Saint-Sacrement de la collégiale Saint-Barnard.

À l’occasion du 320ème anniversaire de la mort de Charles de Lionne, abbé de Lesseins, nous rendons hommage à son initiative et son financement de la restauration de la collégiale Saint-Barnard après les destructions dues aux Guerres de religion.

Cinquante ans de restauration et de construction dans les règles du XIIIe siècle à l’époque de Louis XIV.

C’est à Charles de Lionne que nous devons l’église actuelle.

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