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Mémoire pour la ville de Romans contre les boulangers de la même ville, en 1776

Mémoire pour la ville de Romans contre les boulangers de la même ville, en 1776Le mémoire rédigé en 1776 par Jean-Baptiste Dochier, député du département de la Drôme, et M. Astezan, procureur du roi, contre les boulangers de la ville de Romans-sur-Isère nous apprend beaucoup sur tous les métiers liés à la fabrication du pain. Extraits :

La situation de la ville de Romans au bord de la rivière Isère, sa proximité du Rhône, l’étendue du terrain qui l’environne, ses marchés qui sont approvisionnés par les cultivateurs des plaines de la Valoire, concourrent à y procurer l’abondance des grains de toute espèce. Le prix y est moindre que partout ailleurs. Et cependant, depuis quelques années, par une fatalité inconcevable, le pain y est moins bon et plus cher que dans les autres villes de la province.

Cette révolution a pour époque celle où les boulangers mirent eux-mêmes des entraves à leur profession. Autrefois, la liberté, mère de l’émulation, procurait dans Romans le meilleur pain. Les officiers de police y mettaient le taux et chaque citoyen avait le droit d’en vendre. Mais depuis que quelques boulangers se sont réunis en corps, l’intérêt particulier a trouvé les moyens d’augmenter les profits au préjudice de l’intérêt général.

Ce fut en 1763 que onze boulangers, après avoir fabriqué des règlements intérieurs, les présentèrent au Parlement de Grenoble pour être homologués. Ils le furent sans que la ville ni les officiers de police n’aient été ouïs.

Le succès de cette démarche enhardit les boulangers à demander à la Cour une commission d’experts pour que, aux frais de la ville, il fut fait une épreuve à l’effet de fixer le prix du pain relativement aux variations du prix du blé.

Voici ce qui résulte du rapport des experts fait en 1768 :

1. Le sétier de blé pèse, à Romans, 147 livres, poids de pays, desquelles il faut ôter deux livres pour la terre et le gravier, et une livre de volle qui se perd au moulin. Tout quoi réduit le sétier à 144 livres de farine.

2. Le sétier de blé pèse, à Grenoble, poids de pays, 128 livres soit environ un sixième de moins qu’à Romans et rend une pareille quantité de farine.

3. Le sétier de blé rend, à Romans, quarante-cinq livres de pain blanc appelé miche, première qualité.

4. Il rend quatre-vingt-quatre livres de pain bis ou rousset, seconde qualité.

5. Le poids dont se servent les boulangers de Grenoble est plus faible de deux pour cent que celui de Romans, c’est-à-dire que cent livres au petit poids de Grenoble ne font que quatre-vingt-seize livres au poids de Romans.

Cela posé, les experts ayant pris pour guide la procédure de Grenoble, ont ajouté un sixième aux frais et profits des boulangers de Romans par rapport au sixième que leur sétier pèse de plus que celui de Grenoble.

Les experts supposent qu’il y a deux livres de terre ou de gravier dans un sétier de blé et ils accordent officieusement aux meuniers une livre pour la volle. Partant de là, ils disent que le sétier de blé ne rend que cent-quarante-quatre livres de farine.

Erreurs. Le blé marchand, celui que les boulangers doivent acheter, n’a ni terre ni gravier, ou très peu. Le sétier pèse communément cent-quarante-six livres et souvent cent-cinquante livres. Les meuniers doivent rendre en farine autant de pesant qu’ils ont reçu en blé, en conformité aux arrêts de la Cour de 1629 et 1709, parce que l’humidité dont elle s’imprègne dans les moulins lui donne plus de poids qu’elle n’en a perdu par évaporation.

En accordant pour le chauffage du four et de l’eau la moitié plus de bois aux boulangers de Romans qu’à ceux de Grenoble, par sétier de blé, les experts ont supposé que le bois coûte moitié moins à Grenoble qu’à Romans. Cependant, il est notoire que dans la première ville, le cent de fagots vaut maintenant trente-cinq livres et dans la seconde quinze ou seize livres.

Tout cela est à l’avantage des boulangers de Romans car il y a environ 7 000 citoyens et 10 boulangers alors qu’à Grenoble, il y a 22 000 citoyens et 60 boulangers, et le débit est à peu près le même.

La différence qu’il y a dans la population des deux contrées entraîne une disproportion dans le prix des grains.

Le blé vient au marché de Grenoble de huit ou dix lieues à la ronde et il est presque tout porté à dos de mulet. Les marchés de Romans sont approvisionnés par les grains de la Valoire, par ceux des plaines de Bayanne et des environs, par les blés de barque qui descendent chaque année de la Bourgogne et de la Franche-Comté par le Rhône, et que l’on va charger à Tain ou à Valence. De là, une différence considérable dans les frais de voiture et, par conséquent, dans le prix du blé.

On a raison de dire que le pain est à Romans moins bon et plus cher que dans les autres villes du Dauphiné. Le 9 décembre 1775, le Lieutenant général de police fit un procès-verbal en présence du Procureur du roi et de messieurs Blain et Lombard-Morel, échevins, qui constate que le pain blanc qui se débite à Valence et à Saint-Marcellin est de meilleure qualité et plus beau que celui des boulangers de Romans.

Le salaire des garçons boulangers, les ustensiles et les aliments sont moins chers à Romans qu’à Grenoble. Les experts ne doivent donc pas augmenter les frais d’un sixième.

La ville de Romans fait des voeux pour qu’on rende à la profession de boulanger la liberté dont elle jouissait autrefois. Par ce moyen, l’on parviendrait plus vite au but proposé ce qui ferait au moins lever un grand obstacle qui empêche d’y arriver.

Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère, Série HH – Agriculture, Industrie, Commerce – HH 21 – Mémoire pour la ville de Romans contre les boulangers de la même ville – 1776

Publié dans: 18è siècle, Vie et Métiers

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