La restauration de la collégiale Saint-Barnard au XVIIe siècle
Pour comprendre l’énorme entreprise de restauration initiée par Charles de Lionne, abbé de Lesseins, de 1650 à 1701, c’est-à-dire un chantier de cinquante ans, qui continuera après sa mort jusqu’en 1750, nous devons tout d’abord faire le bilan des destructions durant les Guerres de religion, dans la seconde moitié du XVIe siècle.
Pour mesurer l’étendue des destructions, deux sources : les plans et vues scénographiques de 1572 à 1806 compilées par Jean-Yves Baxter et les documents écrits concernant les marchés passés pour les réparations au XVIIe siècle.
Sur le plan scénique de “La Cosmographie universelle de tout le monde” publié par François de Belleforest en 1575, l’église Saint-Barnard est décrite comme étant “ruinée”. On y voit le chœur et le transept sans toiture, le clocher seul, et des bâtiments, plus bas, à l’ouest, à l’emplacement de la nef et du parvis.
Sur le plan de Georg Braun et Frans Hogenberg, publié en 1581 dans “Civitates Orbis Terrarum”, la vue de la ville est orientée est-ouest et l’église est dans le même état.
Le “Profil de ladicte ville de Romans”, publié par Jean de Beins en 1609, nous donne une représentation plus sérieuse puisque réalisée par un ingénieur et géographe militaire “entretenu par le Roy” et chargé de fortifier le Dauphiné par une ordonnance signée par Sully, ministre du roi Henri IV de France, en 1606. Ce document important montre que le chœur et le transept avaient été restaurés pour protéger la partie la plus importante de l’église. Le chœur était complètement muré, avec une magnifique baie, bâtis qui n’existent plus aujourd’hui. Les créneaux du mur sud sont très vraisemblablement ce qu’il reste des fenêtres du triforium puisque leur forme est identique et qu’on en compte le même nombre. Toute la partie supérieure de la nef, au-dessus de la partie romane, est absente, hormis sur la première travée. Ces constatations ne peuvent être une fantaisie de l’auteur compte tenu de ses capacités et de sa charge officielle.
Un autre plan, réalisé entre 1633 et 1642 par Pierre Boyer du Parc et publié dans un ouvrage manuscrit intitulé “Les Lauriers triomphans du grand Alcide gaulois Louis XIII”, et découvert en 2019 par l’historien local Jean-Yves Baxter, confirme l’état précédemment constaté, quelques années avant le début des travaux entrepris par Charles de Lionne. Ici encore, il n’est pas possible de douter de cette représentation puisque Pierre Boyer du Parc utilisait ses déplacements de diplomate pour mener “une grande recherche particulière aux Chambres des comptes et aux papiers terriers de plusieurs Princes et Seigneurs” pour établir les droits du Roi son Maître, et que la totalité de ses plans ont été remis à une Commission d’ingénieurs et géographes et de professeurs de mathématiques, assemblée en juillet 1643, et le procès-verbal rapporte que les commissaires ont unanimement que les places sont “toutes rapportées et faittes selon leur situation et les fortifications d’icelles”.
Dans ce déroulé des témoignages graphiques, l’état de l’église Saint-Barnard est constant de 1567 à 1650 : le chœur et le transept sont fermés et couverts, et toute la partie supérieure de la nef, au-dessus de la partie romane, est absente.
Consultons la liste des travaux commandés par Charles de Lionne.
Il est à noter que précédant cette campagne de restauration, les chanoines avaient procédé à la mise hors d’eau de l’édifice et couvert le chœur entre 1574 et 1581, et après que l’official de l’archevêque de Vienne se soit plaint, au nom de plusieurs notables de Romans, de ce qu’il ne se dise pas de messe paroissiale dans l’église Saint-Barnard à cause de la ruine de celle-ci.
Sachant que le grand chœur était “privatisé” par les chanoines, nous parlons de la nef dont nous ne savons toujours pas l’état.
Sur le plan de Jean de Beins, fait en 1609, on voit le chœur couvert de trois toits à deux versants, solution la plus simple pour couvrir sans les complications de pénétrations entre les pentes du chœur et du transept.
Sur le chœur, on voit aussi un mur clôturant un départ de nef par une baie, dans le style du XIVe siècle, proche de celle du clocher, soit probablement vers la fin du grand chantier gothique, au début et à cause de la guerre de Cent Ans.
Plus bas, un toit s’appuie contre cette clôture que l’on retrouve dans de nombreux chantiers interrompus de cathédrales.
En compilant toutes les publications des érudits locaux de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle (Ulysse Chevalier, Paul-Émile Giraud, Jean-Baptiste Dochier, Alphonse Nugues), et de quelques chercheurs de la seconde moitié du XXe siècle (Jean Pautrot, Jacques Thirion), nous constations qu’il y a un vide entre 1658 et 1701.
Or, un acte notarié, découvert par l’historien local Jean-Yves Baxter et exposé au public pour la première fois, montre que Charles de Lionne a commandé des travaux importants en 1675.
Le 10 juin 1675, Charles de Lionne, par devant maître Chabert, notaire, commande les travaux suivants :
(le texte est ici transcrit en français actuel pour faciliter la lecture)
“Savoir la fabrique et bâtisse de galeries murales, murailles, piliers, colonnes, paupinages, appuis, voûtes d’icelles sur les dites colonnes avec sur icelles fenestrages, plafonds, couverture desdites galeries, soubassements, corniches, moulures, ornements des dites galeries.”
“Des deux côtés des murailles de bise, et tant de la grande nef de la dite église de Saint-Barnard, et pour la moitié ou environ de la dite grande nef, à commencer du côté du chœur contre le soleil couchant, et d’élever les deux piliers et butées qui sont au dehors des murailles de la dite grande nef, de leur épaisseur et forme, pour les butées des arcs de bleau d’icelles, et des angles ogives des grandes voûtes, et de pierre de taille, jusqu’à la hauteur du dessus, et corniche, et couverte de plafond sur les voûtes des dites galeries.”
Ce qui nous conduit à formuler les conclusions suivantes.
De l’avis unanime, ces travaux de restauration et de construction ont été très bien exécutés, avec un vrai souci archéologique en pleine époque Louis XIV, les techniques du Moyen Âge ayant été conservées par les maîtres-maçons.
Quant à la nef, il se confirme qu’il s’agit d’une entière création du XVIIe siècle au-delà de la frise décorative, comme l’avait très succinctement suggéré l’historien local Alphonse Nugues en 1874, puis Jacques Thirion en 1974 bien qu’il se contredise dans la même publication.
Pour le dire autrement, nous savons déjà, bien que nous ne le disions jamais, que la partie supérieure de la nef, c’est-à-dire les baies et les voûtes, a été construite au XVIIe siècle.
Nous pouvons désormais affirmer que le triforium, c’est-à-dire les galeries et leurs plafonds et ornements commandés par Charles de Lionne par acte notarié du 10 juin 1675, a aussi été construit au XVIIe siècle.
Ainsi, la nef de la collégiale Saint-Barnard n’est pas datée du XII siècle pour la partie basse et du XIIIe siècle pour la partie haute depuis le triforium, comme nous avons l’habitude de le dire, mais du XIIe siècle pour la partie basse et du XVIIe siècle pour la partie haute depuis le triforium.
Il reste encore à porter au crédit de Charles de Lionne différents travaux de grande décoration comme les boiseries de la sacristie, l’autel en marbre polychrome, superbe travail italien avec sa guirlande d’angelots, sans oublier les grilles des chapelles dont une partie, dans le chœur et le transept, a disparu dans les années 1930, deux fragments ayant servi à fabriquer les portails latéraux de l’église Notre-Dame de Lourdes et un troisième fragment se trouvant à l’intérieur de cette même église, au pied de l’escalier de la tribune.
Il apparaît aussi nécessaire d’étudier la façade d’entrée de la collégiale Saint-Barnard :
Le narthex était-il vraiment devant le portail d’entrée ?
Les deux ensembles de statues d’apôtres étaient-ils orientés autrement, comme il est habituellement dit ?
Pourquoi les colonnes entourant ces statues ne sont-elles pas (plus ?) alignées ?
Autant de réponses qui pourraient permettre d’aller plus loin dans la description des dégâts causés par les Guerres de religion et dans l’ampleur des restaurations et reconstructions effectuées au XVIIe siècle, à l’initiative de Charles de Lionne, et le lecteur aura compris que nous avons déjà notre idée sur la question…
Cette découverte a été présentée dans l’exposition “L’inconnu de Saint-Barnard, Charles de Lionne, abbé de Lesseins, restaurateur de la collégiale Saint-Barnard”.
A l’initiative de Jean-Yves Baxter, président de l’association Les Amis de Saint-Barnard et du Calvaire des Récollets, et Daniel Ogier, costumier, décorateur, peintre et sculpteur. cette exposition a été inaugurée le 17 septembre 2021 et est visible jusqu’au 10 octobre 2021 dans la chapelle du Saint-Sacrement de la collégiale Saint-Barnard.
À l’occasion du 320ème anniversaire de la mort de Charles de Lionne, abbé de Lesseins, nous rendons hommage à son initiative et son financement de la restauration de la collégiale Saint-Barnard après les destructions dues aux Guerres de religion.
Cinquante ans de restauration et de construction dans les règles du XIIIe siècle à l’époque de Louis XIV.
C’est à Charles de Lionne que nous devons l’église actuelle.