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L’affaire Clary : la chanteuse et le cordonnier

Depuis l’âge de dix-sept ans, Adèle Hoyez, originaire du Havre, vivait loin de ses parents et menait une existence irrégulière, de ville en ville, chantant dans les cafés-concerts, bien connue des habitués de ces établissements à Romans. C’est à Montélimar qu’elle épousa le romanais Joseph Clary, extrêmement épris d’elle. Il était veuf, père de deux enfants, ouvrier cordonnier, gagnait sa vie largement et leurs âges cadraient : il avait trente-deux ans et elle, vingt-quatre. Il avait été convenu qu’Adèle quitterait la carrière lyrique et il semble que jamais elle n’eut l’occasion de la regretter. Le couple vivait place Perrot de Verdun, avec un des deux enfants âgé de dix ans, et était fort uni. Joseph Clary se montrait rempli de prévenances pour sa femme. Il travaillait, laissant celle-ci mener une vie oisive et il allait lui-même acheter les provisions nécessaires à la famille pendant qu’elle restait au lit toute la matinée.

Le 18 février 1885, les époux Clary soupèrent chez des voisins. Le repas, auquel prirent part huit personnes, fut très gai. On but sept bouteilles de vin et Adèle Clary chanta plusieurs romances. Vers dix heures du soir, les convives se séparèrent. La démarche d’Adèle Clary était peu assurée et elle dut s’appuyer sur le bras de son mari pour revenir chez elle. Quand ils rentrèrent dans leurs appartements, Joseph Clary alluma la lampe dans la cuisine et s’assit pour se déchausser. Sa femme prit, sur la table ou dans le tiroir, un couteau de cuisine muni d’une lame de seize centimètres de longueur en disant : “Je vais manger un morceau.”

Rentrée dans la chambre à coucher, elle appela son mari, lui manifestant le désir de l’embrasser. Presque immédiatement, il se rendit auprès d’elle. Au moment où il approchait, sans qu’aucune parole ne fut échangée, elle leva le bras et lui porta un violent coup de couteau dans le côté gauche. Le sang jaillit, il recula en chancelant jusque dans la cuisine et eut à peine la force de dire à son fils : “Crie au secours, je suis perdu !” Et il tomba à la renverse. Sa femme se précipita sur lui. “Es-tu mort ?”, lui demanda-t-elle. Il fit un signe de tête affirmatif et expira. L’autopsie a établi que le couteau avait pénétré dans le thorax, traversé le poumon et atteint l’oreillette gauche du cœur.

L’affaire fut jugée le 22 avril de la même année par la Cours d’assises de la Drôme. L’accusée n’a contesté aucune des circonstances. Interrogée sur les mobiles qui l’avaient poussée à ce crime, elle n’a pu ou voulu en indiquer aucun. “J’étais folle, j’avais bu, j’ai perdu la tête, je ne savais plus ce que je faisais. Mon mari et moi, nous nous adorions”, a-t-elle prétendu. Adèle Clary fut reconnue coupable avec des circonstances atténuantes basées sur l’état d’ivresse dans lequel elle se trouvait au moment des faits et fut condamnée à deux ans de prison. Le crime de la place Perrot de Verdun eut un grand écho dans la presse nationale.

L’Info en +

Des recherches complémentaires ont permis d’apprendre qu’Adèle Clary était emprisonnée en Nouvelle-Calédonie en 1887 mais sans savoir s’il y avait un lien avec sa condamnation pour le crime qu’elle avait commis à Romans. Le bagne de Nouvelle-Calédonie fut institué en 1863 et cessa de fonctionner en 1898. À partir de cette date, seul le bagne de Cayenne continua à fonctionner et les derniers forçats le quittèrent en 1953. Un des buts de la transportation des femmes dans les colonies pénitentiaires était qu’elles fondent une famille avec les internés, au terme de leur condamnation, et qu’elles participent ainsi au peuplement de ces terres nouvelles. C’était un usage courant des puissances coloniales et le Royaume-Uni fit de même en Amérique du Nord et en Australie. Il n’était pas compliqué d’être condamné à la transportation dans un bagne colonial, un simple vol ou une simple complicité de crime pouvaient y conduire.

Cet article de Romans Historique est paru dans le Dauphiné Libéré : www.ledauphine.com/drome/2017/08/16/la-chanteuse-et-le-cordonnier

Publié dans: 19è siècle, Vie et Métiers

1 Comment on "L’affaire Clary : la chanteuse et le cordonnier"

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  1. Denis FERRADOU dit :

    Quelle affaire…! Boire ou finir en prison… Il faut choisir…! Cordialement.

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