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Le monastère de Sainte-Ursule de Romans

Elle fit tout exprès le voyage de Valence, avec sa soeur Angèle, pour y prendre l’habit de la Congrégation de Sainte-Ursule, suivant la promesse que les soeurs de ce lieu lui avaient faite de le lui donner. Après avoir demeuré quelque temps en leur compagnie, le jour fut arrêté et toutes deux furent revêtues de cet habit. Mais le Révérend Père Romillon, Directeur des soeurs Ursulines de Valence, pour les éprouver, voulut qu’on le leur ôtât et qu’on les renvoyât comme elles étaient venues. Ce qui fut fait et la soeur Jeanne reçut cette humiliation avec une douceur qui fut admirée, s’estimant indigne de porter l’habit de l’Ordre. Les soeurs de Valence ayant donné à la vertu les louanges qu’elle méritait, lui envoyèrent bientôt l’habit qu’elles lui avaient ôté, avec pouvoir de le mettre quand elle voudrait.

Elle ne fit pas moins paraître son égalité d’esprit dans une autre rencontre qui fut tel. Lors de la grande pauvreté des soeurs de Romans, un gentilhomme de la campagne leur avait donné sa fille en pension, qu’elles gardèrent un an sans rien recevoir. Un jour qu’il était à la ville, la soeur Jeanne, accompagnée d’une des soeurs, l’alla trouver et lui ayant fait la demande très civilement, ce gentilhomme s’emporta, lui dit des injures, la menaça de la faire fustiger et puis la renvoya avec un grand soufflet qui fut tout le paiement que l’on reçut de lui, dont la soeur fut bien contente, et quoi qu’elle défendit à sa Compagnie de dire ce qui lui était arrivé, sa joie fit connaître aux soeurs qu’elle n’était point sortie de la Maison sans profit.

La soeur Jeanne avait demandé trois choses à Dieu au temps de ses premières ferveurs : des douleurs, du dégoût et de n’être point aimée des créatures. Elle fut exaucée, n’ayant presque jamais été sans souffrances corporelles. Elle eut jusqu’à la mort un dégoût de toutes sortes d’aliments. Et bien qu’elle fut aimée de toutes ses filles, elle encourut la haine et la persécution de quantité d’autres personnes. Ses Directeurs assurèrent que sur la fin de sa vie, elle était parvenue au sublime degré d’union avec Dieu. L’un d’eux dit à une de ses fidèles Compagnes qu’elle ne tenait plus en ce monde parce que son corps y avait encore un peu de vie, qu’elle n’avait plus d’images, ni de Dieu, ni de créatures et ne trouvait plus d’appui en nulle chose créée, qu’elle était dans une sainte obscurité pleine de révérence, parce que tout elle était en Dieu et ne voyait que Dieu, et que comme Dieu est infiniment au-dessus de notre connaissance et de nos sens, elle ne savait où elle était. Seulement dans l’assurance que Dieu était tout et le reste rien et il lui était indifférent que Dieu la fit souffrit ou jouir, qu’il la mit en haut ou en bas. Et son amour était si épuré qu’elle était aussi contente d’être châtiée de ses offenses par la justice de Dieu que d’être caressée par l’excès de son amour.

Le Révérend Père Chambrette, Récollet, écrivant après sa mort à une de ses soeurs, dit ces mots : “Je vous puis dire que cette âme n’était jamais séparée de Dieu mais s’unissait à lui en tous lieux et en toutes occupations.” Quelque temps avant sa dernière maladie, elle entendit par trois fois distinctement ces paroles : “Ma fille, donne moi du pain et je te donnerai la vie.” Ce qui fut interprété que Dieu lui demandait un soin nouveau à produire des bonnes oeuvres pour avoir bientôt la vie éternelle. De ce moment, elle redoubla tellement ses ardeurs que l’on eut dit qu’elle n’eut rien fait jusqu’alors.

Un matin, jour de saint Antoine, on lui appris la mort d’un des habitants de la ville : “C’était un grand homme de bien, dit-elle, je le suivrai bientôt.” Ensuite, elle s’en alla à la messe et y communia puis, étant appelée au parloir, elle fit signe qu’elle ne pouvait parler et on reconnut qu’elle fut prise d’angine. On la mit au lit où tous les remèdes ne lui purent faire recouvrer la parole, de sorte qu’en cinq ou six jours qu’elle fut malade, elle ne dit rien, sinon quelquefois le mot “oui” quand on l’interrogeait si elle aimait Dieu.

Elle reçut l’absolution générale avant l’Extrème-Onction, versant abondance de larmes. Elle avait déjà reçu le saint Viatique avec facilité bien qu’elle ne put prendre de nourriture et qu’elle eut la langue fort enflée.

Son trépas fut très doux, son visage ne changea ni en la maladie, ni après la maladie, paraissant avec les mêmes agréments qu’il avait toujours eu. On porta son corps à la chapelle et le monde, par dévotion, fit toucher des chapelets à ses mains et à son visage.

La réputation que sa sainte vie lui avait acquise obligea tous ceux de la ville à la regretter. Tout le clergé et les religieux assistèrent à son enterrement, et même tous les curés des villages voisins y vinrent avec beaucoup de dévotion, chacun demandant de ses reliques.

Longtemps après sa mort, il sortait de son tombeau une bonne odeur différente de celle de la terre, laquelle s’épandait par toute la chapelle. Les personnes séculières s’en étonnaient et s’enquéraient aux soeurs de quoi elles avaient fait ce parfum. Comme elles leur répondaient qu’il n’y en avait point d’autre que celui qui sortait du tombeau de leur Mère, ces mêmes gens visitaient la chapelle, cherchant partout et trouvant qu’en effet l’odeur venait de ce lieu, ils disaient tous que c’était l’odeur de l’humilité de la défunte.

Après qu’elle fut morte, ses confesseurs déclarèrent que sa pureté angélique n’avait jamais été ternie. Aussi avait-elle une singulière consolation, entendant ces paroles de l’Apocalypse : “Les Vierges suivent l’Agneau partout.”

Elle mourut le 21 janvier 1639, âgée de cinquante-et-un ans.

Maximes de soeur Jeanne Michel

I. Je ne puis comprendre qu’une âme religieuse, qui doit toujours vivre en la présence de Dieu et lui être unie, puisse rechercher sa satisfaction dans les créatures.

II. Je m’étonne comme une âme n’est pas toujours contente, croyant et sachant qu’elle a Dieu pour père, c’est que l’on réfléchit trop sur soi-même par l’esprit de l’amour propre.

III. Il arrive souvent que la propre volonté avec laquelle nous choisissons les croix en diminue le prix, et il est rare que l’amour propre ne nous porte à les diminuer ou qu’une ferveur indiscrète ne nous charge au-dessus de notre pouvoir.

IV. Il n’y a rien à craindre dans les croix qui nous arrivent par la Providence car nous sommes assurés qu’il n’y a point d’autre volonté que celle de Dieu, qui nous les envoie proportionnées à notre faiblesse et qui nous donne des forces pour les porter.

V. Pour grandes que soient les sécheresses, on ne doit jamais rien omettre de ses exercices ordinaires, soit d’obligation, de dévotion, et on doit espérer que dans les plus pressantes attaques, nous aurons toujours une grâce secrète, qui nous en fera surmonter toutes les difficultés, si nous lui sommes fidèles.

   

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