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Le monastère de Sainte-Ursule de Romans

Chapitre II

Fondation du monastère de Sainte-Ursule de Romans.

L’établissement des Ursulines de Romans, sous l’archevêché de Vienne, a été appuyé aussi bien que la plupart des autres, sur la faiblesse et la pauvreté, pour obliger à louer la Toute Puissance Divine “qui de rien fait ce qui lui plaît”.

Jeanne et Angèle Michel, filles de Pierre Michel, marchand de Romans, et de Antoinette Faresse, furent choisies pour cette entreprise.

Jeanne (Jehane), baptisée le 13 décembre 1587 en la paroisse Saint-Barnard de Romans, et Angèle (Angélique), baptisée le 7 novembre 1593 en la même paroisse, étaient issues d’un fratrie de neuf enfants composée aussi de Catherine, baptisée le 4 mars 1590, Jean, baptisé le 22 septembre 1591, Ysabeau, baptisée le 12 mai 1596, Claude, baptisé le 25 juin 1598, Suzane, baptisée le 9 avril 1600, Alexandre, baptisé le 9 juin 1602 et Hélène, baptisée le 15 avril 1607.

Jeanne Michel ayant passé ses premières années dans la pratique d’une vertu toute extraordinaire, se consacra entièrement à Dieu en l’an 1605.

Elle sut bien instruire sa cadette, Angèle, et l’envoya avec le congé de ses parents chez les soeurs de Sainte-Ursule de Valence. Elle y demeura jusqu’au commencement de l’année 1608 puis revint, âgée de seize ans et si bien dressée, qu’elle commença à s’adonner à l’instruction des jeunes filles et même à faire le catéchisme comme elle l’avait vu faire aux soeurs de Valence, s’y préparant avec tant de zèle et de hardiesse que chacun en était ravi.

Ce fut alors que sa soeur Jeanne eut le mouvement d’établir une maison de la Congrégation de Sainte-Ursule en la ville de Romans et, pour ne rien entreprendre à la légère, elle communiqua son dessein au Révérend Père Jean Suarez, jésuite très renommé pour sa profonde doctrine et pour son éminente vertu, lequel après avoir pesé la chose devant Dieu huit jours durant, leur conseilla de suivre l’inspiration céleste et les encouragea, ajoutant ces paroles : “Mes filles, vos noms sont écrits au Livre de la Vie.”

Ensuite, par l’avis de M. Noyerat, chanoine de l’église Saint-Barnard de Romans et leur confesseur, elles quittèrent l’habit blanc qu’elles avaient pris et se vêtirent de noir le premier dimanche de l’Avent de la même année 1608, et retinrent encore quelques années leur voile blanc.

Quand elles eurent vaqué à l’instruction publique un an durant dans la maison de leurs père et mère, le curé de leur paroisse leur défendit de continuer. Toutefois, ce qui semblait renverser leur dessein l’affermit davantage car l’official leur donna congé par écrit d’enseigner la doctrine chrétienne aux jeunes personnes de leur sexe.

Et, l’an 1610, Monseigneur Jérôme de Villars, archevêque de Vienne, leur accorda la permission d’être congrégées avec d’autres filles qu’elles pourraient recevoir.

Le 20 novembre 1611, elles reçurent l’agrément des échevins de la ville de Romans en ces termes : “Attendu que depuis qu’il aurait plu à Dieu nous appeler quoi qu’indigne au régime et administration des âmes, leur salut nous aurait été tellement à coeur que nous avons affectionné et embrassé tout ce qu’il aurait pu avancer et prouver, et d’autant que l’instruction de la jeunesse, tant de l’un et l’autre sexe, aux bonnes moeurs, à la piété et dévotion y apportent un grand coup, et que les femmes et filles de Sainte-Ursule font particulière profession d’enseigner les jeunes filles, nous avons agréé qu’en la ville de Romans elles puissent se loger ensemble sous la conduite de ceux que nous commettrons à cet effet, et qu’elles se conduisent suivant les règles et ordonnances que nous en ferons, de telles qualités et jusqu’à tel nombre que nous leur prescrirons, ayant pour commencement permis aux soeurs Jeanne et Angèle Michel de donner commencement à cette sainte résolution que nous agréons et approuvons, à la charge qu’elles ne pourront agréger avec elles aucune fille ou femme que ce ne soit de notre commandement.”

Après cela, elles quittèrent leur maison paternelle et leur confesseur, étant en même temps fait recteur de l’hôpital, leur prêta gratuitement la sienne et les aida en diverses autres manières. Elles n’emportèrent de leur maison que ce qu’on ne leur put pas ôter. Mais Dieu les pourvut à propos par une veuve, femme de leur oncle, qui se rangea en leur compagnie et leur donna tout son bien.

L’an 1612, Monseigneur l’archevêque de Vienne leur dressa et donna des règles et, tant qu’il vécut, il leur porta une affection paternelle.

Elles reçurent avec grande joie une demoiselle dévote, parente du gouverneur de la ville, espérant que se retraite chez elles ferait éclat et y en attirerait d’autres.

Ensuite, la soeur aînée de cette demoiselle demanda aussi l’entrée qui lui fut accordée d’autant plus agréablement que l’on se promettait qu’elle convertirait la cadette, qui faisait déjà de la peine. On fit même un tel cas de cette aînée qu’on lui donna le gouvernement de tout le temporel de la maison presque aussitôt qu’elle y fut entrée.

Premier monastère

Le 8 février 1613, les soeurs Ursulines achetèrent, pour le prix de 1 650 livres et 30 livres de pension annuelle, une maison attenant au nord à la place de l’auditoire de justice de la ville aussi appelée place des Clercs (à l’emplacement de l’actuelle place aux Herbes), à l’est à la rue du port Merlin, au sud à la rivière de l’Isère et à l’ouest au cimetière de l’église Saint-Barnard, et y allèrent loger. Le contrat d’albergement fut passé le même jour et reçu par maître Montluel, notaire. Il s’agissait d’un chasal ruiné (ce qu’il restait du palais archiépiscopal construit par l’archevêque de Vienne, Jean de Bernin, au milieu du XIIIe siècle) dans lequel il fallut faire beaucoup de réparations.

Mais les deux demoiselles, parentes du gouverneur de la ville, qui se piquaient fort de la noblesse de leur rang, vinrent à se dégoûter de cette manière de vie humble et simple qu’elles avaient embrassée et sortirent le jour de sainte Ursule de l’an 1613.

Cela fut fort fâcheux aux quatre filles congrégées parce qu’il leur fallut emprunter pour rendre leur dot, dont leur maison avait été payée. Elles tombèrent en telle nécessité qu’elles n’eurent pas le moyen de manger de la viande depuis Pâques jusqu’à la Pentecôte.

On leur ôta leurs pensionnaires et elles furent décriées et méprisées au double de l’estime que l’on avait d’elles auparavant, de sorte qu’elles ne paraissaient point dans les rues sans être chargées d’injures par toutes sortes de personnes qui ne parlaient plus que de leur donner le fouet et de les chasser de la ville.

Cependant, ces véritables servantes de Jésus-Christ, parmi lesquelles on remarquait surtout la soeur Catherine Motin, recevaient ces humiliations avec consolation de leurs âmes. Elles furent merveilleusement fortifiées par la Mère Christine Peyron, fondatrice et supérieure des soeurs de Sainte-Ursule de Grenoble, qu’elles appelèrent à leur secours et qui, connaissant que ce murmure populaire était une persécution dont Dieu les tirerait en son temps, souffrait avec elles et pour elles.

Nonobstant leur pauvreté, la Mère Jeanne Michel, étant supérieure, eut un si pressant désir d’ériger une chapelle que l’on ne put l’en détourner. Un jour, se promenant dans une vieille galerie du logis, elle frappa en terre avec un petit bâton et, entendant résonner, elle découvrit qu’il y avait là quantité de pierres. On y trouva de quoi bâtir la chapelle et il y eut même des matériaux de reste. Il se présenta de plus un maçon qui, au jugement des experts, travaillait autant que quatre autres. Sur la fin, il voulut tout abandonner parce qu’il n’avait pas de pierre de taille pour achever les fenêtres. La Mère, inspirée de Dieu, prit une bêche et s’en alla à cette même galerie où, du premier coup qu’elle donna, elle trouva une pierre toute coupée, de quoi le maçon fut bien surpris, et encore davantage quand dessous cette pierre, il en aperçut une autre et jusqu’à sept consécutivement toutes taillées et propres à mettre en oeuvre, étant précisément le nombre qu’il lui fallait.

Ces jeunes filles servaient de manoeuvres depuis le matin jusqu’au soir, sans prendre de repos que le temps de leurs exercices réguliers, vaquant aussi à leurs fonctions envers les écolières. Le maçon prenait plaisir de les éprouver, jugeant que leurs forces surpassaient la nature. Il demanda une fois du mortier à la plus jeune. Elle, se fiant à Dieu et n’ayant lors personne pour l’aider, en pris un récipient plein, qu’à peine un homme aurait pu soulever de terre, et monta allègrement une haute muraille pour le présenter au maçon. Une autre fois, ce maçon dit à une autre qu’elle portait une grosse pierre, laquelle apparemment elle ne pouvait pas remuer, mais il fut bien étonné de la lui voir porter aussi facilement que si c’eut été un petit caillou.

   

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